Penny Dreadful (de 2014, pas le spin-off de 2020) est une série horreur et fantasy qui, à ma plus grande surprise, n’a pas fait tant de bruit que ça, ou du moins pas autant de bruit qu’elle le méritait. Tout d’abord, c’est une série avec Eva Green et Timothy Dalton, quelle que soit votre préférence. Puis, c’est une série avec beaucoup de références à la littérature (principalement) victorienne avec des personnages tels que Dracula, Frankenstein (le docteur comme le « monstre ») ou encore Dorian Gray. Enfin, et surtout, c’est une série qui a une approche intéressante de la féminité. Attention, il y aura quelques spoilers.

La sorcellerie, « nouveau » symbole féministe

Penny Dreadful a, parmi ses trames de fond, la sorcellerie, pratiquée par les femmes. Hormis l’heureuse appropriation par les mouvements féministes de l’imagerie de la sorcière, ce thème est, s’il est bien traité, une manière intéressante de traiter le pouvoir des femmes. Je ne vais pas trop développer là-dessus, ce thème (ainsi que sa symbolique) est déjà largement abordé par beaucoup de monde et de manière plus intéressante que je pourrais le faire.

Ce qui contribue au côté « empowerment » dans Penny Dreadful, c’est qu’à la place du vieux schéma ennuyeux des femmes faibles ou même des femmes fortes qui ont – respectivement – constamment ou parfois besoin d’être secourues, nous sommes en présence de sorcières stylées super fortes qui mettent la misère à qui elles veulent. Ce n’est pas particulièrement original, mais l’approche manichéenne de la « bonne » et la « mauvaise » sorcières est intéressante. Contrairement à une longue tradition dans la pop culture (Le Magicien d’Oz, les contes de fée pompés par Disney, Les Sorcières (le film avec les enfants transformés en souris là)), dans Penny Dreadful, la « bonne » sorcière, âgée et à l’apparence négligée, ne correspond pas aux critères de beauté classiques, tandis que les « mauvaises » sorcières sont classiquement belles et stylées. La pop culture est polluée par ce trope avilissant les femmes qui, pour citer Despentes, sont extraites du « marché de la bonne meuf ». Elles sont généralement les méchantes. Ici, Joan est la « bonne » sorcière, celle qui pratique la « bonne » sorcellerie et l’enseigne à Vanessa. Certes, il y a un côté critiquable dans la manière dont les sorcières « méchantes » sont dépeintes, c’est-à-dire comme des séductrices, mais dans tous les cas le personnage de Joan en vaut le détour. Même s’il ne s’agit pas de la seule œuvre rompant avec cette approche centrée sur la beauté, le phénomène est assez rare pour être souligné.

La destruction du trope « born sexy yesterday »

Born sexy yesterday est le nom donné par Pop Culture Detective au trope (nauséabond) dans lequel une entité est créée du jour au lendemain et qu’elle prend forme humaine, la forme d’une jeune femme sexy et innocente, sexy parce que innocente. Un trope aux tendances pédophiles et surtout sexiste qui est joliment détruit via le personnage de Lily Frankenstein. Ici, le « monstre » de Frankenstein est triste parce qu’il n’a pas de meuf parce qu’il est moche, et exige de son créateur qu’il lui en « fabrique » une. Donc Victor Frankenstein, ce creep, attend que Brona Croft, une travailleuse du sexe, meure de tuberculose pour récupérer son cadavre. Il passe alors un certain temps enfermé dans son grenier à la « préparer » à la résurrection mais surtout à lui parler et à lui toucher les seins (il est puceau). Comme si ce n’était pas suffisamment glauque, lorsqu’elle est enfin ressuscitée par lui, elle n’a aucun souvenir concernant sa vie et son identité, et Victor Frankenstein lui fait croire qu’elle est sa cousine Lily. Il tombe « amoureux » d’elle et ne veut plus la « donner » au « monstre ». Contrairement à son identité dans sa vie précédente, Lily Frankenstein est mignonne, réservée et innocente. Victor lui teint les cheveux en blond et lui fait porter des vêtements blancs. Une nuit de tonnerre, tous les deux couchent ensemble et c’est ainsi que Victor Frankenstein n’est plus innocent (puceau mdr). Le « monstre » quant à lui voit d’un mauvais œil tout ce qui est en train de se passer, sans forcément en connaître les détails, et essaie d’assujettir Lily Frankenstein, qui « lui est due ». C’est alors qu’elle lui met une grosse branlée et lui dit qu’elle fait ce qu’elle veut, qu’elle n’appartient ni au « monstre » ni au docteur Frankenstein, qu’elle est libre et que wow pour qui ils se prennent, tous, là ? Après elle va vivre avec Dorian Gray et crée une armée révolutionnaire de travailleuses du sexe qui tuent plein de violeurs. Et au passage elle se fout de la gueule de Victor Frankenstein (le puceau) en lui rappelant la nuit où ils ont couché ensemble.

Ce passage nous apprend deux choses intéressantes : d’une part, Lily n’était en réalité pas innocente ni amnésique, même si on ne sait pas exactement quand elle a retrouvé la mémoire, et d’autre part, la situation est décrite comme malaisante et non plus « romantique ».

Les aspirations des femmes revisitées

Même les personnages féminins les plus puissants de la pop culture se font régulièrement humilier par des réal qui leur collent des aspirations patriarcales de mariage et d’enfants. Buffy, les sœurs Halliwell, la Veuve Noire, Katara et même mon bébé Sailor Moon. « L’aventure et la baston c’est bien, mais ce dont je rêvé réellement c’est de me poser avec un mari dans une ptite maison là et avoir des enfants ». Et je ne cite que des exemples de SF/fantasy, dans les œuvres plus réalistes c’est encore plus écrasant.

Dans Penny Dreadful, ce cliché est pointé du doigt d’une manière des plus flagrantes. Dracula propose à Vanessa de réaliser ce rêve, une grosse maison joliment décorée, un mari amoureux et des enfants mignons, des rayons de soleil et une vie tranquille. Mais Vanessa répond que même si cela a, à un moment, été son rêve, elle a fini par le dépasser, le rendant désormais obsolète. Les autres personnages féminins sont également, pour beaucoup, affranchis de ce rêve ringard. Joan Clayton vit isolée, en tête-à-tête avec la sorcellerie. Lily Frankenstein finit par s’intéresser plus à l’assassinat des violeurs qu’à son idylle avec Dorian Gray. Catriona Hartdegen porte des pantalons, combat des vampires et met la misère à des hommes nobles rachitiques à l’escrime. Florence Seward est concentrée sur sa carrière et sa vie privée n’est pas mentionnée.

Cette émancipation renforce la diversité et la profondeur des personnages féminins dans la série. Joan, Vanessa, Brona, Lily, Hecate, Catriona, Florence, Evelyn et même Mina sont dotées de caractéristiques, d’esthétiques et de personnalités qui leur sont propres, bien que le niveau de profondeur et de détail varie en fonction de leur temps de présence à l’écran. Il s’agit d’un effort a priori minime, mais la paresse des réal et producteurs hollywoodiens a tellement fait baisser le niveau d’attente que la variété de ces personnage vaut la peine d’être soulignée.

La sexualité normalisée

La pop culture regorge de clichés ennuyeux. Les tabous autour du sexe (en particulier pour les femmes dépassant la trentaine), la dichotomie de la pute et de la madone, l’inexistence de la bisexualité ou encore l’aspect pathologique des relations légères sont des tropes omniprésents dans la fiction dont les effets nuisibles n’ont plus besoin d’être identifiés.

Dans Penny Dreadful, Vanessa Ives a une vie sexuelle très libre et absolument rien ni personne n’y pose de regard négatif. C’est décrit d’une manière neutre, faisant partie de son identité sans connotation péjorative. Evelyn Poole, une sorcière âgée de plusieurs siècles, jouée par une actrice de 46 ans (Helen McCroy), a des relations sexuelles et est présentée comme particulièrement séduisante dans la série.

Brona Croft, travailleuse du sexe, a droit à une vie amoureuse relativement saine et les personnages tels que Dorian Gray ou Vanessa Ives la traitent comme une égale, sans aucune allusion à sa profession. Chose relativement rare, puisque les travailleuses du sexe sont régulièrement présentées d’une manière déshumanisante, malheureuses non pas à cause de la précarité mais à cause de la nature de leur travail. Et même lorsque ce n’est pas le cas, les autres personnages leur rappellent leur mépris envers leur travail. Par exemple, dans Firefly, Inara Serra est une travailleuse du sexe au statut particulièrement respecté, mais cela n’empêche pas Malcolm Reynolds de l’insulter tout au long de la série. Penny Dreadful dépeint les travailleuses du sexe comme des individus, et Brona Croft est respectée par les autres personnages principaux.

Tout comme l’absence de clichés autour de la sexualité, l’absence de sexualité elle-même est également rafraîchissante. Cela permet l’existence d’une véritable histoire d’amitié (qui pour moi est la meilleure relation de la série), une amitié entre un homme et une femme, celle entre Vanessa et John Clare, sans que l’un ou l’autre manifeste une quelconque intention romantique. C’est une pure et simple relation amicale, basée sur l’amour de la poésie et la solitude de l’âme, dépourvue de sous-entendus d’incel vus et revus selon lesquels ce type d’amitié aurait vocation à acquérir une nature romantique ou a minima sexuelle.

En somme, Penny Dreadful est une série rafraîchissante dans son traitement de la féminité et des personnages féminins, ignorant ostentatoirement une série de tropes gavants, le tout dans une esthétique envoûtante.

Et Eva Green.

Eva je t’aime.
J’ai mis une saison et demie à me rendre compte que ce mec n’était pas Ashton Kutcher.
C’est à ça qu’on ressemble quand on craque.

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